Les logiques des différenciations pédagogiques
Pierre Cieutat
1) Une pédagogie pour sélectionner les meilleurs – une différenciation au profit d'une élite
L'enseignant répond essentiellement aux élèves qui suivent le rythme de ses enseignements.
Pédagogie renforçant la seule réussite des meilleurs, visant à faire émerger un nombre restreint d'élèves (une élite) pour les diriger vers les études les plus longues et/ou dans les établissements les plus réputés.
Il n'y a pas d'objectifs de réussite scolaire pour les autres, ce qui est expliqué soit par une absence de dons scolaires (problèmes de compréhension, de maîtrise des codes scolaires), soit par des stratégies de culpabilisation : absence de travail, manques de motivation, soucis de comportements, …
2) Une pédagogie tournée vers les plus faibles
L'enseignant s'occupe prioritairement des élèves en difficultés et laisse les autres en "autonomie" car « ils s’en sortiront, de toute façon ».
Pédagogie conduisant à de l'ennui chez les meilleurs élèves et un probable nivellement par le bas pour tous.
3) Une pédagogie égalitariste – aucune différenciation
L'enseignant agit essentiellement par l'intermédiaires de situations d'enseignement uniformes (collectives et individuelles).
Pédagogie collective et égalitaire amenant progressivement à "une école conservatrice". Elle ne prend pas en compte l'individu et ses singularités.
Tous les élèves peuvent, en théorie, accéder à la réussite scolaire, y compris dans les filières sélectives. La pédagogie utilisée ne prend pas en compte l'hétérogénéité des apprenants et les conditions.
Il est à noter que l'abandon des élèves, reconnus en "décrochage", est considéré comme un échec. Ceux qui sortent de l'école sans diplôme et avec une piètre image d'eux-mêmes sont les vaincus de la compétition scolaire, l’Etat ayant assuré l’égalité des chances.
4) Une pédagogie différenciée parla personnalisation des apprentissages
L’enseignant organise des moments d'individualisation des parcours des élèves pour permettre à chacun de travailler selon ses besoins. Il organise aussi des moments collectifs d’enseignements programmés pour assurer la richesse des réflexions produites au sein d’un groupe. Ces moments collectifs évitent l’écueil d’une école du chacun pour soi.
C’est une pédagogie qui associe cours collectifs, individualisation et activités coopératives où les élèves ont la possibilité d’aider, de demander de l’aide ou de s’entraider. Cette pédagogie recherche l'excellence de chacun, ce qui implique de ne pas abandonner les objectifs du projet commun de l’école républicaine.
Discussion
Nous nous demandons si maintenir les écarts ou les réduire (par la personnalisation des apprentissages) ne nous rapproche pas d’une pédagogie tournée vers les plus faibles. N’y a-t-il pas une limitation des possibles pour les élèves les plus congruents avec la réussite scolaire ? Nous ne le pensons pas pour trois raisons :
- Il y a un lien entre maturité des apprenants et apprentissages. Ainsi des élèves plutôt faibles pour l’âge de leur cohorte d’âge pourraient, mis de nouveau dans des situations de réussite et de confiance, « rattraper » plus vite leur niveau de cohorte. Ceci pourrait expliquer une réduction des écarts évitant les écueils d’une « pédagogie tournée vers les plus faibles ». Un élève "en retard" (au regard des attendus moyens des élèves de son âge), s’il ne perd pas confiance en ses capacités, saura, une fois ses dispositions cognitives établies, donner pleine puissance à ses apprentissages.
- Ensuite, l’école ne peut pas être une institution qui a pour but de produire des champions surentrainés. Lorsque c’est le cas, la réussite scolaire peut être source de fragilité à l’instar de ces sportifs de haut niveau très fragiles lors du « premier échec ». Ici nous nous situons dans l’intervalle entre réussite scolaire et réussite de vie. Si l’école est relative à toute une nation, elle s’adresse à tous les enfants et adolescents qui le fréquentent. Sinon, ses objectifs sont dévoyés.
- Enfin, l’école n’est pas celle d’un projet de « vivre ensemble » conçu comme une juxtaposition d’individus qui se tolèrent mais dont l’objectif est de maximiser leurs performances individuelles. Une pédagogie différenciée peut participer à l’élaboration d’un projet plus ambitieux pour l’école. Une école qui participe à la construction d’un collectif ou différences et ressemblances sont richesses : une école inclusive pour tous. Dans ce cadre, tous les élèves trouvent intérêts à des alternances entre activités en groupe, programmation d’activités collectives et temps de travail individuel où l’aide et l’entraide trouvent une place légitime. Dans la communauté de la classe, la personne construit et expérimente sa place dans la communauté humaine grâce à l’altérité. Les conflits qui naissent des quotidiens scolaires sont autant d’occasions pour apprendre la relation à l’autre et, plus largement, l’engagement au sein d’une société.
Pierre cieutat - Aout 2018
On pourra avec avantages se procurer l'article de Philippe Meirieu "Louis Legrand et la « pédagogie différenciée » : les enjeux d’une querelle"