Vers des ceintures de compétences en Histoire
Article paru dans les Cahiers Pédagogiques n°546 de juin 2018 - Dossier ; L'histoire à l'école : enjeux.
Est-ce possible que des écoliers travaillent de manière autonome de l'Histoire ? N'est-ce pas une discipline qui doit être tenue à bout de bras par les professeurs des écoles pour des enfants qui n'aimeraient que les "histoires" ?
Au début de ma carrière, je pensais que, hormis quelques exceptions, les élèves ne s'intéressaient pas à l'Histoire à l'école, que c'était trop éloigné de leur monde. J'ai constaté que je me trompais.
L'expérience dans ma classe de cycle 3 est que beaucoup d'élèves valident, pendant les temps de travail en autonomie, plusieurs compétences du programme en Histoire, via des supports couvrant toutes les périodes.
Voici une rapide description de ce qui me semble avoir permis de telles réalisations, ainsi que des étapes par lesquelles je suis passé.
Le contexte est une classe de CE2-CM1-CM2 que j'ai eue pendant 9 ans dans un quartier populaire. L’histoire personnelle des enfants de ma classe est liée à l'immigration qu'ils ont connue, où que leurs parents ont connue. Le quartier est, lui aussi, un patchwork de cultures et d'histoires de migrations. Est-ce favorable à l'enseignement de l'Histoire ? Je le pense.
Une histoire de spirale
J'avais organisé des temps de travail autonome qui commençaient à fonctionner en français et en maths. Parallèlement, en deux ou trois ans, je commençais à avoir des cours collectifs d'Histoire qui s'étaient bien installés. Ces moments de leçons semblaient des moments agréables pour la classe. Des contenus passaient et s'ancraient dans la mémoire des élèves. Le plaisir que j'éprouvais pendant ces moments ont aussi, je le pense, été favorables.
Dans cette classe multiâge, certains élèves revoyaient tous les périodes de l'histoire chaque année et j'essayais, d'une année sur l'autre, d'aborder un point différent de chaque période importante. C’est peut-être ce que l’on nomme une progression spiralaire. Certains élèves y voyaient un grand intérêt et retenaient beaucoup. Ils aimaient rappeler ce qu'ils savaient déjà d'une année sur l'autre. Ainsi pensée, une progression spiralaire semble favoriser une appropriation autonome des contenus.
Pour tous, j'avais pour objectif d'ancrer des jalons et la succession des périodes. Pour chacune, d'associer dans la tête des élèves des événements marquants, des images, des détails de la "petite histoire" avec des dates charnières. En revanche, pour ce qui était d'apprendre des "compétences de l'historien", je n'étais pas sûr de les aider. C'était un peu trop collectif.
J'ai alors commencé à introduire du matériel d'Histoire dans les temps de travail autonome avec PIDAPI. J'ai aiguillé des élèves qui prenaient plaisir à cette matière vers ce matériel. Parallèlement à cela, nous avons commencé à lire très régulièrement les histoires des mythes grecs (Le feuilleton d'Hermès de Muriel Szac) grâce au travail de Bruce Demaugé-Bost, qui avait adapté pour sa classe des activités autonomes liées à chaque épisode. Ainsi, je lisais pour tous, nous débattions ensemble du contenu des histoires et certains élèves pouvaient prendre physiquement l'épisode (le texte au recto et les activités au verso) et réaliser les activités seuls ou à plusieurs. La présence de l'Histoire s'intensifiait dans la classe. Par effet de contagion, de plus en plus d'élèves s'intéressaient à cette Histoire.
Par ailleurs, je cherchais comment sortir des seules activités de français-maths pendant le plan de travail (les temps de travail autonome et personnalisé). J'avais commencé à introduire des activités de manipulation, en particulier pour les sciences. Les ordinateurs m'ont permis de faire exister des préoccupations géographiques et ces mythes ont introduit l'Histoire dans les objets de travail des temps autonomes.
Autonomie et apprentissages en Histoire
J’ai alors introduit du matériel de travail personnalisé, sous forme de ceintures de compétences en Histoire. Pendant les moments de travail personnalisé dans l’emploi du temps (deux heures par jour en moyenne), les élèves choisissent leurs activités parmi un éventail large : étude de la langue, écriture, résolution de problèmes, calcul mental, …, et Histoire.
Exemple de grille de ceintures « Histoire » - PIDAPI
Ces ceintures d'Histoire marquent pour les élèves la progression de leurs apprentissages. Tous ne réalisent pas le même travail et ainsi avancent selon leurs besoins. Les activités s'appuient sur de la lecture de fiches-connaissances, enrichies de documents historiques adaptés à une compréhension autonome d’élèves du primaire. Les ceintures mobilisent également des compétences liées à l’utilisation de frises chronologiques, à la lecture de documents, aux légendes….
La validation des items présents dans les ceintures nécessite la création de contenus (exposés, recherches...).
Mes observations
Compte-tenu de ma représentation initiale, j’ai été très surpris de voir des élèves se saisir de ces objets de travail sans y être forcé par un cours collectif. Certains ont réussi l’ensemble des ceintures, ce qui représente un investissement important. Tous s’y sont engagés par un effet de vide vis à vis des autres ceintures. Quand un élève est violet presque partout, il n’aime pas rester blanc en histoire.
Beaucoup ont réalisé des exposés à plusieurs (Exemples de titres : Adolphe Hitler, Charles de Gaulle, Clovis, Les Temps Modernes, Napoléon, Neil Armstrong, Charlemagne, la révolution et l’Empire, Les Francs, La préhistoire, les Gaulois, les rois, les seigneurs du Moyen-âge...) L’utilisation des diaporamas a grandement favorisé cet exercice avec l’introduction facile d’images et de vidéos.
La procédure pour faire des exposés incluaient un temps de questions collectives des élèves sur le thème choisi avant la construction finale de l’exposé. Les élèves avaient ainsi un temps pour poser des questions dont ils espéraient des réponses dans l’exposé.
Cette organisation était possible grâce à des temps d’individualisation dans la classe, pendant lesquels je pouvais les accompagner dans la construction de leur présentation et où nous discutions Histoire, où nous sélectionnions des documents etc... Cette pratique a encore accentué l’intérêt pour l’Histoire dans la classe.
Progressivement, les élèves se sont mis à remarquer des éléments dans leur environnement qui rappelaient un domaine d’histoire. Un élève m’a même envoyé par mail un lien vers un tableau sur Napoléon que je ne connaissais pas. Il m’a dit, « tu pourrais l’intégrer à ton cours ». Nous avons alors, en classe, cherché ensemble si c’était un document historique et si je pouvais l’utiliser.
Parallèlement, nous avons aussi fait évoluer le matériel vers une plus grande facilité d’utilisation pour les élèves – le travail en autonomie sur l’Histoire ne doit pas être décourageant. Nous avons aussi intégré l’utilisation de cartes à la façon des « Chronicards » dont les élèves étaient très friands à la fin de chaque année. Ils reçoivent maintenant des cartes à chaque ceinture et constituent ainsi leur jeu (Les Pidacards). Nous allions l’intérêt de cette forme ludique de réinvestissement, avec un renforcement positif par valorisation des progrès réalisés.
J’étais très heureux (et fier aussi) de compter parmi mes élèves des enfants qui en savaient plus que beaucoup d’adultes autour d’eux.
Pierre Cieutat - 2018